Luc-Olivier Erard, Journaliste à l'Agence romande de presse, a publié ce texte le 11. août '14 dans «Le Nouvelliste», «Le Journal du Jura», «L’express», «La Côte» et «L’Impartial».
Le nom de Corris ne vous dit peut-être rien. Mais si vous fréquentez les gares, vous connaissez cette entreprise. Elle recrute des membres et recherche des fonds pour le compte d’œuvres d’entraide suisses: Amnesty International Suisse, Pro Infirmis, le WWF: de nombreuses organisations confient à une entreprise commerciale privée le secteur pourtant stratégique du recrutement. Pourquoi? Parce que ça marche.
Placés dans des lieux de passage comme les gares, les centres commerciaux ou les postes, les stands de Corris arborent les couleurs du client du moment: généralement, une organisation non gouvernementale qui cherche des donateurs. Les équipes de «dialogueurs» abordent les passants à un rythme soutenu, avec un discours bien rodé. Ils peuvent convaincre entre cinq et dix passants par jour, parfois plus, d’adhérer à la cause qu’ils présentent.
Formés au sein des organisations concernées, ils connaissent les causes pour lesquelles ils s’engagent. Motivation supplémentaire: ils obtiennent des bonus en fonction de leurs résultats.
Les employés de Corris ont pu connaître par le passé des conditions de travail discutables. Mais, à en croire les porte-parole de plusieurs de ses clients, les œuvres d’entraide ont convaincu Corris de modifier certaines pratiques, par exemple en ce qui concerne le logement, les transports ou les bonus de leurs militants professionnels.
C’est que la pratique du recrutement, sous cette forme, présente un risque en termes d’image qu’il n’est pas toujours facile de gérer: comment accepter en effet que la cause qu’on a chevillée au corps soit défendue par d’autres pour de l’argent? Si les organisations s’y résignent, c’est que le recrutement face à face nécessite des forces importantes et une motivation sans faille. Battre le pavé pendant huit heures n’est pas forcément du ressort de militants bénévoles.
Et Corris n’est pas la seule à profiter de la générosité des Suisses. Parmi les lieux de passage les plus denses figurent les gares. Les CFF louent des emplacements, pour des montants que l’entreprise de transport a refusé de divulguer. Elle n’a pas non plus indiqué si l’activité de Corris, orientée vers l’entraide, lui donnait droit à des conditions plus favorables que pour d’autres entreprises.
«Plus jeunes, plus fidèles»
Reste le nerf de la guerre, l’efficacité. Chez Amnesty, la responsable de la communication, Stella Jegher, concède qu’il existe «différentes manières de lever des fonds» et que rien n’est gravé dans le marbre en la matière. Mais elle explique l’efficacité de Corris par le face-à-face. Les membres obtenus de cette manière sont bien plus fidèles: «Un tiers des membres gagnés par Corris en 2004 est toujours inscrit à Amnesty, ayant fait des dons chaque année». Et ce constat est partagé par Pro Infirmis, alors même que l’association fonctionne sur un mode différent: alors qu’Amnesty cherche des dons comme des membres engagés (contre la torture, notamment), Pro Infirmis finance ses projets et ne compte pas sur le bénévolat. Mark Zumbühl, porte-parole de Pro Infirmis, confirme: «Nos chiffres montrent le succès de cette manière de faire, qui touche des gens plus jeunes, plus fidèles et qui sont prêts à donner davantage.» Les organisations semblent donc démentir l’impression donnée par certains «dialogueurs» qui ont parfois des scrupules à faire «des adhérents de circonstance». Sur son site Internet, Corris dit rechercher «des idéalistes prêts à gagner beaucoup d’argent». Un job qui n’est peut-être pas pour tout le monde.
LUC-OLIVIER ERARD